Photo de l'auter par © Lara Jacinto
CE N'EST PAS PARCE QU’UNE ÉCHELLE NE RÉPOND PAS
Traduction de Clara Domingues
Depuis toujours, je parle aux chiens et aux chats, aux oiseaux et aux arbres, aux fleurs et même aux insectes, comme les mantes religieuses, qui sont peu enclins à me mordre ou à me piquer.
Les saluer me donne le sentiment d’appartenir à un monde accueillant (même si ce n’est pas le cas).
Et je ne peux croire que cela leur cause du tort.
À moins de leur raconter une histoire longue et ennuyeuse, bien sûr ; personne, pas même une coccinelle, n’a envie qu’un inconnu vienne l’ennuyer.
À l’occasion, je discute aussi avec les murs, les chaises et les tables.
Lorsque je me lance dans ce genre de conversation, il se peut que je franchisse le royaume de la folie, mais qui peut l’affirmer en toute certitude ?
Ce n’est pas parce qu’une échelle ne répond pas qu’elle n’écoute pas.
Je constate toutefois que ces jours-ci je parle moins aux animaux, aux plantes et aux objets inanimés.
Le masque étouffe cette envie.
Pour compenser peut-être, il me semble que je leur parle davantage en pensée.
Et j’offre mes salutations et mes vœux de bonne santé à toute personne que je vois un masque sur le visage.
(Je m’abstiendrai de vous raconter ce que je dis en silence à celles qui refusent d’en porter un, mais sachez que ce n’est guère très sympathique.)
Depuis toujours, je parle aussi aux personnages de livres.
En effet, j’ai dit à Hester Prynne qu’elle avait eu l’infortune d’être née trop tôt, j’ai remercié Boo Radley d’avoir sauvé Scout et j’ai demandé à la Méduse comment, Dieu du ciel, elle s’était retrouvée avec ces serpents ailés et venimeux en guise de chevelure.
Si vous avez lu Un chant de Noël, sans doute pouvez-vous deviner que j’ai dit à Ebenezer Scrooge d’aller se faire foutre, de profiter de la vie et d’agir enfin comme un mensch.
Et peut-être écoutait-il, car c’est précisément ce qui lui arrive à la fin.
Alors, peut-être bien que tout ce que nous voyons, entendons ou pensons entre en contact avec le reste du monde.
Ou peut-être pas.
Peu importe, après tout, j’ai maintenant 65 ans et je ne crois pas vraiment avoir un jour la moindre certitude à ce sujet.
Alors, je parle à qui ou à ce que je veux, à voix haute ou dans ma tête, et même si je n’en attends pas la moindre réponse, j’espère véritablement que cela leur fait, et me fait, un peu de bien.
Né à New York, Richard Zimler a obtenu une licence en religion comparée à l’Université Duke et une maîtrise en journalisme à l’Université de Stanford. En 1990, il s’installe à Porto, où il enseigne le journalisme, d’abord à l’Escola Superior de Jornalismo, puis à l’Université de Porto. En 2017, le conseil municipal de Porto lui décerne la médaille d’honneur de la ville. Au cours de ces vingt-quatre dernières années, il a publié douze romans, un recueil de nouvelles et cinq livres pour enfants, qui sont rapidement devenus des best-sellers dans plusieurs pays (Portugal, Brésil, États-Unis d’Amérique, Angleterre, Italie). Cinq de ses livres explorent la vie de différentes générations d’une famille judéoportugaise, les Zarco ; ils constituent le cycle séfarade. Ses romans les plus récents sont Lazare, Os dez espelhos de Benjamin Zarco et Insubmissos. Zimler a la double nationalité, américaine et portugaise.
D’abord une formation très classique, Lettres Classiques à la Sorbonne, pendant laquelle Clara Domingues s’intéresse à l’édition et à la traduction de textes anciens par les humanistes de la Renaissance. S’ensuivent des années d’intense activité professionnelle dans l’économie sociale et solidaire (si tous les chemins mènent à Rome, le grec et le latin mènent à tout et plus encore). Puis retour à l’université, Paris 8, pour un master de traduction littéraire. Enfin, deux années de compagnonnage, avec de généreux traducteurs chevronnés, à l’École de Traduction littéraire. Depuis, elle traduit des auteurs lusophones pour l’édition, le théâtre et le cinéma.
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